« Des pommes de terre, je me disais que les gens allaient toujours en manger »
« Les débuts de notre ferme sont semblables à ceux de nombreuses fermes du Québec de l’époque, c’est-à-dire que la famille vivait d’une agriculture de subsistance. Les pommes de terre sont cultivées ici depuis au moins 100 ans, mais la spécialisation dans cette culture s’est faite graduellement depuis le début des années 1960 », affirme Réjean Beauparlant, devant ses champs à Lanoraie, dans Lanaudière.
Après la Deuxième Guerre, c’était le tabac qui était cultivé majoritairement dans la région. « Le sol, sablonneux, était propice à ça et c’était prospère », explique Réjean.
Après ses grands-parents, c’est le père de Réjean qui s’est occupé de la terre familiale jusqu’à ce que ce dernier prenne la relève. « Quand t’es jeune, t’es travaillant, et même si je savais que le défi serait de taille, j’y voyais un avenir prometteur : des pommes de terre, les gens allaient toujours en manger. »
À l’époque, le père de Réjean écoulait ses récoltes localement. « Les familles étaient nombreuses et mangeaient de la patate à tous les repas. C’était pas cher, c’était nutritif et ça se conservait bien. On pouvait livrer 50 poches de 50 livres à 2 dollars chacune, et les familles les conservaient dans des chambres froides pour l’hiver. » Le reste était vendu aux commerçants et grossistes de Montréal.
Aujourd’hui, les choses sont différentes à la ferme. Les pommes de terre sont surtout vendues en sacs de 10 et 50 livres aux épiceries et aux restaurants du Québec, de l’Ontario et des États-Unis. La production est passée de deux ou trois variétés il y a 50 ans, à une dizaine aujourd’hui.
L’automne, pendant la récolte, Réjean et son fils Jean-Christophe sont aidés d’une équipe de 5 ou 6 personnes seulement. Ensemble, ils récoltent plus de 3 000 tonnes du tubercule sur 160 acres. Ensuite, les pommes de terre sont gardées à l’obscurité et au frais dans les entrepôts. Ils peuvent ainsi fournir toute l’année des grossistes, des détaillants, des commerçants et parfois d’autres producteurs-emballeurs.
Les choses vont bien à la ferme Beauparlant, mais la situation paraît par moments décourageante. « Je suis parfois inquiet de la baisse de consommation de pommes de terre et des prix sur lesquels on n’a aucun contrôle ; la compétition est féroce, surtout lors des années de surproduction dans l’est du continent, dit Réjean. Il y a trente ans, il y avait trois fois plus de producteurs au Québec, mais avec des plus petites superficies de terre. Aujourd’hui, les fermes sont de plus en plus grosses et seuls survivent les plus efficaces. » Le producteur constate que bien des fermes n’existent plus, faute de relève.
Quand on parle de relève, Jean-Christophe avoue que ce n’est pas toujours facile, même s’il évoque l’histoire familiale et parle de l’industrie avec une passion évidente. « Parfois, j’ai le goût de lâcher. L’avenir est incertain, il y a de plus en plus de réglementation, les prix ne sont pas toujours bons… » Mais le jeune homme, qui a complété une technique agricole, garde espoir : « Avec la population mondiale qui augmente sans cesse, la demande en aliments sera de plus en plus grande. Je trouve que c’est logique de continuer. »
De toute façon, ça crève les yeux, Jean-Christophe est là pour rester. « Quand j’étais jeune, je suivais mon père dans les champs. Je me rappelle même très bien la première journée où il m’a dit qu’il allait me payer pour mon travail. J’avais huit ans et j’étais tellement fier ! » Puis, il parle de cette fois où, à l’école primaire, lors d’une présentation orale sur ce qu’il voulait faire plus tard, il avait expliqué qu’il souhaitait devenir producteur agricole. « L’agriculture, c’est vraiment un beau milieu. Ici, c’est mon terrain de jeu », dit Jean-Christophe en pointant les vastes espaces par la fenêtre du bureau. « Ça l’était quand j’étais enfant pis à 22 ans, ça l’est encore. »
Le jeune homme laisse passer un moment : « Je vais m’arrêter parce que quand je suis parti, je pourrais en parler bien longtemps ! » Réjean regarde son fils et assure : « Quand la relève est là, c’est encourageant ! »